Maman, doux surnom de Mme Henriette HOP, gère un orphelinat à Matomb, Cameroun.
Et vous, que feriez-vous de plus avec 5 dollars ?
Maman lève les sourcils et répète : « Avec 3000 CFA ? Ah mais oui… ». Elle sourit même, tellement la réponse lui paraît évidente.
Pour venir la trouver à Matomb, nous avons dû rouler une heure sous une pluie battante sur l’axe reliant Yaoundé à Douala. La chance a voulu que l’averse soit déjà passée à notre arrivée. Après le tambourinement assourdissant des grosses gouttes de pluie et le ballet incessant des essuie-glaces sur le pare-brise de la voiture, les paisibles chants des oiseaux du soir et des grillons furent enchanteurs.
« Créer un orphelinat, c’était le souhait de mon mari… »
En la mémoire de son défunt mari et soutenue par sa fille installée en France, Maman a fait sortir de terre un orphelinat. L’ONG Chiala[1], avec l’appui d’ADEPT, a installé un système de filtration de l’eau de forage, la rendant ainsi potable et aux normes. Alors que le technicien procède à la maintenance du système, je discute en aparté avec Maman sur la viabilité de l’orphelinat.
« Ma fille, elle envoie ce qu’elle peut, moi, quand je prends ma pension retraite, moi aussi je fais [ma part, NDLR]. Et en-dehors de ça, je fais des cultures vivrières, je fais les champs. Je cultive du macabo, du manioc […] Je fais du maïs, je fais de l’arachide, ce qu’on peut manger, quoi ! »
Cette femme d’une soixantaine d’années m’explique sa stratégie car l’orphelinat ne bénéficie d’aucune subvention financière de l’état : produire autant que possible ce que les orphelins, le personnel et elle-même vont consommer au cours du mois. L’argent sert alors à rémunérer les deux jeunes qui soutiennent Maman, à compléter les repas, à payer les dépenses liées à la scolarité des enfants et à faire face aux dépenses imprévues de santé. L’orphelinat a aussi souffert des conséquences du confinement, pour juguler la propagation de la COVID-19 au second trimestre 2020.
« [Il y a eu] une diminution [des transferts]. [Ma fille] a eu beaucoup de la peine. On a attendu que les mesures soient levées au niveau de la banque, il n’y avait pas de transactions. Je me battais, avec ce que je recevais à la fin du mois dans ma caisse. »
Interrogée sur les transferts qu’elle reçoit de France, elle me rappelle que les coûts d’envoi sont les plus élevés du monde en Afrique.
« Par Western Union, Moneygram… si elle [ma fille] envoie 90 euros, c’est dans les 4.50 euros au niveau des frais. C’est pour ça que nous passons plus par ça, parce que les virements bancaires sont plus chers. »
5% est considéré comme des coûts de transaction faibles en Afrique, où ils sont en moyenne autour de 9%. Les pays se sont entendus sur les Objectifs de Développement Durable[2], et notamment pour réduire ces coûts de transaction à moins de 3% en 2030[3]. La digitalisation des transferts est la solution technologique permettant une telle réduction, l’argent ainsi libéré pouvant profiter aux familles. Quel changement une telle réduction apporterait-elle à l’échelle d’une famille ?
« Maman, avec 3000 FCFA, qu’auriez-vous acheté de plus pour l’orphelinat ? »
Alors que je lui posais la question, elle s’est rapprochée, les yeux grand ouverts et tendant l’oreille, marquant son intérêt.
« Avec 3000 FCFA ? Ah mais oui, on fait à manger pour près d’une semaine ! »
C’est à mon tour de répéter :
« Avec 3000 FCA ? »
Elle sourit et rit même devant mon interrogation. Elle hausse les épaules.
« Ben oui, ben oui, puisqu’on va acheter […] Pour aller faire le marché, on n’achète pas tout le même jour. On a certainement un peu de stock, un peu d’accompagnement, il faut peut-être aller chercher du poisson. 3000 FCFA pour chercher du poisson, on peut manger pendant 5 jours ! Vous voyez ? »
Elle me confirme que les coûts de transaction auraient pu servir à acheter des protéines pour quasiment une semaine. Cela me conforte dans l’idée que diminuer ces coûts de transaction, c’est quelques jours de nourriture assurée pour plusieurs millions de familles. Militer pour l’atteinte de cet ODD, c’est soutenir 1 milliard de familles. Vous pouvez manifester votre soutien en partageant l’histoire.
Au fait, et vous, que feriez-vous de plus avec 5 dollars ?
Notre position
ADEPT a rejoint la Remittance Community Task Force[4] et a répondu à l’appel à action lancé par le Royaume-Uni et la Suisse, demandant respectivement la diminution des coûts de transferts et que les obstacles gênant leurs flux soient levés
[1] https://chiala.at/en/
[3] https://sdgs.un.org/goals/goal10 notamment 10.c.1
[4] https://familyremittances.org/idfr-2020/the-remittance-community-task-force/